Jean-Louis Aubert est devenu, au fil des albums, l’artiste français qui me fait vibrer le plus. Étant moi-même auteur de chansons, je demeure pantois devant cette façon d’associer d’une improbable façon des mots qui se mettent mutuellement en valeur. Ce qui rassure, c’est de constater que nous puissions être des centaines de milliers à partager cette sensation qui fait que soudain, l’âme titillée entame un parcours en tapis volant.
Étrangement, je n’ai pourtant pas immédiatement accroché à Téléphone. Je me souviens même de la première fois que j’ai entendu ce groupe. C’était rue des Écoles, chez un disquaire dont l’activité essentielle consistait à brader des 33 tours, mais qui faisait écouter certaines nouveautés dans le magasin. J’avais dit au disquaire combien je trouvais ce groupe banal et il n’était pas d’accord.
À cette époque, l’un des derniers concerts que j’avais vu était celui de Robert Wyatt et il m’avait subjugué tant par son jeu de batterie que par ses mélodies d’une totale liberté, j’avais accroché à Weather Report et au jazz-rock. Carla Bley pointait le bout de son nez dans le paysage de mes musiques favorites avec ses longues suites orchestrales d’un rare raffinement.
Comment pouvais-je accrocher à un groupe qui nous resservait le B A BA d’un rock simpliste alors que dans le même temps, guitariste à mes heures, je tentais de déchiffrer des morceaux de jazz pour élargir ma palette ? Je n’avais perçu que la forme de Téléphone et elle ne me parlait pas. Des groupes français, seul Magma m’impressionnait.
Et puis, j’ai compris l’essence du groupe... C’était lors d’une soirée. Dans la frénésie de la nuit, l’énergie envahissait la pièce, enrobait les murs, réchauffait les cœurs ! C’était du rock, du rock à la française, une sensation de vitalité comme on en avait jamais vu. Idéal pour faire la fête !…
Au fond, c’était l’essence d’une certaine musique qui avait été retrouvé et régurgitée. Cela vous soulevait de terre et se répandait à la manière d’une onde vitalisante.
Leur carrière a été subjectivement courte. D’autres artistes sont venus squatter la platine avec des albums de qualité de Pretenders à R.E.M. tandis que Pat Metheny invitait à quelques échappées libres sur d’autres territoires.
Au moment où Téléphone se séparait, en avril 1986, j’avais ma propre actualité. Avec Camille Saféris (qui allait par la suite faire carrière à la télévision), nous terminions un livre d’humour « Ne quittez pas, je vous passe mon répondeur ». Enfermés dans le grand appartement d’un ami près du parc Monceau, nous lâchions gag sur gag du matin au soir pour compléter le livre attendu par l’éditeur, le premier que nous publions l’un comme l’autre. Autant dire que nous n’avons pas pris la mesure de la disparition de Téléphone survenue au même moment.
C’est au fil des années que j’ai réalisé combien je m’étais approprié ce groupe. Il revenait spontanément au fil des conversations. Personne ne les avait remplacés. C’est tout. Ce typhon avait été unique en son genre et les albums se bonifiaient avec le temps.
Consolation, les chansons d’un dénommé Jean-Louis Aubert s’insinuaient dans notre environnement et elles avaient encore un peu du goût originel. C’était parfois même encore meilleur. Aubert écrivait toujours aussi bien et sa palette se diversifiait. Ses textes acquérraient une pâte, une densité, s’insinuaient dans votre existence, vous accompagnaient le long de vos rêveries. Il y évoquait ces plages où des mômes font signe aux bateaux, ces moments qui allaient on ne sait où, rendait hommage à ses alter ego… Si le temps n’avait pas de prise sur sa candeur, son écriture devenait adulte, posant un regard d’une profonde tendresse sur ces fragments de vie qu’il partageait avec d’autres.
Avec le recul, on réalise que la carrière de Téléphone n’a duré que dix années alors que celle d’Aubert en solo va bientôt fêter sa vingtième année. Une œuvre a pris forme, aussi forte que celle d’un Sting ou d’un McCartney une fois séparés de leur groupe fétiche. Et la chance veut, qu’à l’instar de tels artistes, Jean-Louis n’hésite pas à puiser dans l’intégralité de son répertoire pour construire un spectacle. Il en résulte un show riche, où les sentiments se télescopent, de la frénésie à la nostalgie. Avec des musiciens qui n’ont rien à envier au combo d’origine, d’autant que le facétieux Kolinka est fréquemment de la fête.
Il n’est pas aisé d’écrire à propos d’un artiste lorsque l’écrivain est par ailleurs un fan. Il y a un an de cela, lorsque la responsable du site Locataires dédié à Jean-Louis a voulu lui préparer un cadeau d’anniversaire pas comme les autres, j’ai passé de longues semaines à arranger à ma façon la chanson « La petite semaine ». Elle s’est retrouvée parmi des dizaines d’autres sur un triple CD que nous lui avons fait parvenir. L’intéressé nous a chaudement remercié dans une lettre adressée au site dans laquelle il déclare combien un tel geste l’a touché.
Quoiqu’il en soit, dans ce récit, j’ai tenté de séparer les deux casquettes. Parfois aussi, je me suis laissé aller. Un livre n’est jamais qu’une vision, un remake subjectif du film des événements.
"Jean-Louis Aubert, de Téléphone à aujourd'hui" City Editions
Pour plus d'infos : http://ichbiah.com